Passé et présent

Gramsci 0

« L’aspect de la crise moderne que l’on déplore comme une « vague de matérialisme » est lié à ce que l’on appelle « crise d’autorité ». Si la classe dominante a perdu le consentement, c’est-à-dire si elle n’est plus « dirigeante », mais uniquement « dominante », et seulement détentrice d’une pure force de coercition, cela signifie précisément que les grandes masses se sont détachées des idéologies traditionnelles, qu’elles ne croient plus à ce en quoi elles croyaient auparavant, etc. La crise consiste justement dans le fait que l’ancien meurt et que le nouveau ne peut pas naître : pendant cet interrègne on observe les phénomènes morbides les plus variés.

Il faut relier à ce paragraphe quelques observations déjà faites sur la « question des jeunes ». Celle-ci est déterminée par la « crise d’autorité » des vieilles générations dirigeantes et par les obstacles mécaniques opposés à ceux qui pourraient diriger pour les empêcher de mener à bien leur mission. Le problème est le suivant : une rupture entre les masses populaires et l’idéologie dominante aussi grave que celle qui s’est produite après la guerre peut-elle être « guérie » par le pur exercice de la force qui empêche les nouvelles idéologies de s’imposer ? L’interrègne, la crise à laquelle on refuse ainsi une solution historique normale se résoudra-t-elle nécessairement en faveur d’une restauration de l’ancien ? Étant donné le caractère des idéologies, c’est à exclure, mais non dans un sens absolu. En tout cas, la dépression physique conduira, à la longue, à un scepticisme diffus et une nouvelle combinazione naîtra, dans laquelle le catholicisme, par exemple, deviendra encore davantage un pur jésuitisme, etc. Ceci permet également de conclure que se forment les conditions les plus favorables pour une expansion inouïe du matérialisme historique. C’est la pauvreté initiale elle-même, que le matérialisme historique ne peut pas ne pas avoir comme théorie diffuse de masse, qui renforcera son expansion. La mort des vieilles idéologies prend la forme d’un scepticisme envers toutes les théories et toutes les formules générales, et d’une application au pur fait économique (gain, etc.) et à la politique non seulement réaliste de fait (comme toujours), mais cynique dans ses manifestations immédiates. Mais cette réduction à l’économie et à la politique signifie justement réduction des superstructures les plus élevées à celles qui adhèrent le plus à la structure, c’est-à-dire possibilité et nécessité de la formation d’une nouvelle culture. »

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